Assemblage automobile : une partie d’échecs avec les usines

Surtout connu comme magnat du football, Roland Dûchatelet est avant tout actif avec son entreprise Melexis comme fournisseur de capteurs pour l’industrie automobile. Il lance également de temps en temps des idées au sujet de cette industrie que l’on peut qualifier pour le moins de controversées. Dans sa chronique dans « De Tijd », il propose de porter la TVA sur les voitures à 50 % en réponse au chômage économique à laquelle l’usine Volvo de Gand va avoir recours durant les prochaines années.

Usine 1-lowresRoland Dûchatelet compte que près d’un demi-million de voitures sont vendues chaque année en Belgique à un prix moyen de € 25 000. Si la TVA passait de 21 % à 50 %, cela rapporterait € 3,6 milliards au Trésor public selon ses estimations. Le directeur de Melexis pense que cet argent pourrait être utilisé pour un tax shift vers tout l’emploi industriel de notre pays (environ un demi-million de travailleurs). Les charges sur le travail diminueraient ainsi d’un quart. Les fournisseurs profiteraient également de cette baisse. Roland Duchâtelet considère que ce shift permettrait de diminuer les coûts de production à Gand et d’éviter ainsi une délocalisation de la production vers la Suède ou la Chine.

Il trouve cela plus logique que de recourir au système du chômage économique et de payer de la main-d’œuvre qualifiée à ne rien faire.

Ce n’est pas un plan infaillible

Bien qu’il y ait une certaine logique dans le raisonnement de Roland Duchâtelet, force est de constater que son plan n’est pas du tout infaillible. Étant donné que les voitures qui sont importées devraient également satisfaire au tarif TVA de 50 %, le prix de celles qui sont fabriquées à l’étranger augmenterait aussi sensiblement. Ce ne serait donc pas une bonne chose pour le marché automobile en Belgique. Roland Duchâtelet a répondu par une pirouette en disant que les voitures indiennes sont vendues pour quelques milliers d’euros. C’est bien sûr un raisonnement spécieux car les voitures indiennes ne sont pas importées en Belgique, auquel cas nous en aurions un flux de masse. Quand on connaît déjà l’importance des marques premium sur le seul segment fleet, Roland Duchâtelet prend ses désirs pour des réalités avec l’idée des voitures low budget.

Il précise alors que son idée ne prend tout son sens que lorsqu’elle est également appliquée dans les pays voisins. Dans le cas contraire, nous traverserions tous la frontière pour acheter une voiture soumise à un taux de TVA inférieur. Mais pourquoi un tarif TVA de 50 % sur les voitures et pas sur les autres produits ? Quelle est la logique de tout ça ? Lorsqu’on parle d’un tax shift drastique, c’est étrange de n’envisager qu’un secteur.

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Le coût du travail est un faux argument

Mais la plus grosse erreur de jugement commise par Duchâtelet, c’est qu’il part du principe que le coût du travail est le facteur déterminant dans le choix de la localisation d’une usine d’assemblage. Selon l’analyste renommé Vic Heylen, ce coût du travail est loin d’être prépondérant et il le démontre chiffres à l’appui. Près de 70 % des frais d’assemblage sont à imputer aux services et aux matériaux achetés. Avec 5,5 %, la part du coût du travail est à peine plus grande que celle des matières premières (5,3 %) et des frais de transport (4 %). En raison du niveau sans cesse croissant de l’automatisation, l’assemblage n’est plus un processus à forte intensité de main-d’œuvre. Au Portugal, le coût du travail dans l’industrie automobile s’élève à moins de 40 % du coût du travail belge. Pourtant, le Portugal a vu son industrie de l’assemblage, à une usine près, disparaître complètement.

Tous les constructeurs automobiles qui ont quitté notre pays les uns après les autres ont toujours pu compter sur des subventions et autres interventions des gouvernements respectifs. Mais celles-ci s’avéraient systématiquement inutiles puisque les usines finissaient quand même par mettre la clé sous le paillasson. Quels facteurs entrent alors en ligne de compte si ce n’est pas le coût du travail ? Cela peut sembler bizarre mais le coût du travail à l’étranger joue parfois un rôle plus important pour l’assemblage en Belgique que le coût du travail ici. Près de 80 % du coût total d’assemblage résulte des pièces achetées, des composants et des services externalisés. Les usines belges d’assemblage automobile sont ou étaient approvisionnées pour une grande partie par des fournisseurs allemands. Dans ce sens, les coûts salariaux allemands ont un impact plus important sur nos frais d’assemblage que les coûts salariaux belges.

Néanmoins, il existe d’autres facteurs qui ont une influence et qui n’ont absolument rien à voir avec les coûts salariaux, mais qui sont liés aux taxes. Ainsi la Russie perçoit 35 % de droits de douane sur les importations de voitures complètement assemblées. Pour garder le marché important que constitue la Russie pour les modèles premium, BMW exporte à Bremerhaven des modèles X5 et X6 qui sont produits aux États-Unis. Les voitures y sont démontées et expédiées par bateau dans des containers à Kaliningrad pour y être de nouveau assemblées. De cette manière, BMW évite 35 % de droits d’entrée sur des voitures entièrement assemblées. Toute cette opération s’avère plus avantageuse pour BMW que l’acquittement des droits d’entrée.Usine 2-lowres

Des réflexes nationaux

Mais indépendamment de ces artifices, il ne faut pas se faire trop d’illusions sur les réflexes nationaux au sein d’une Europe uniformisée. Il est toujours plus délicat politiquement pour un constructeur de fermer d’abord une usine dans son propre pays, puis à l’étranger. C’est l’inverse dans la plupart des cas, comme nous avons pu le constater en Belgique au cours de ces dernières années. Le cas échéant, les coûts salariaux élevés ont toujours bon dos. Dans ce contexte, l’idée de Roland Duchâtelet témoigne de beaucoup de bonne volonté… mais aussi d’un manque de lucidité dans ce qui est réellement en jeu. Il y a une surcapacité de production depuis des décennies sur le marché européen, lequel est complètement saturé. C’est le problème fondamental. La fermeture d’usines, voire la disparition de constructeurs du marché, semble n’être qu’une question de temps. Dans ce contexte, les usines d’assemblage ne sont que des pions qui seront sacrifiés par la force des choses.

#Auto

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