Miel Horsten (Renta) tape du poing sur la table

Le président de Renta, Miel Horsten, est connu pour être un homme affable et de bonne composition, ainsi que pour son sens de l’humour. Mais aujourd’hui, le ton est professionnel et ferme. Et il n’hésite pas à dire ce qu’il a sur le cœur…

Ces derniers mois, le monde politique a fait un bon nombre d’annonces qui auront un impact sur la voiture de société. L’allocation de mobilité, la fiscalité des voitures hybrides et l’ambition en matière de voitures électriques… Tout ça n’est-il pas un peu exagéré ?

Au sein du monde politique belge, le climat est à la politique d’annonce et cela crée une très grande incertitude. C’est honteux. Cette vision à court terme me met particulièrement en colère. En refusant de se prononcer sur un certain nombre de choses, ils prennent nos clients, le secteur automobile et l’industrie du leasing en otage.

Comme… ?

Fin septembre de l’année dernière, on nous présentait la formule ‘Cash for Car’. Aujourd’hui, 13 mois plus tard, nous attendons toujours l’avis du Conseil d’Etat. Elle peut être approuvée à tout moment, sauf infraction au principe d’égalité. D’ailleurs, l’impact du système Cash for Car sera incroyablement restreint. Via une analyse menée en collaboration avec Traxio et Febiac, nous avons sondé les intentions des conducteurs. Peu d’entre eux étaient disposés à franchir le pas. Et même s’ils étaient davantage prêts à le faire, il n’existe pas d’alternatives valables à la voiture. Autrement dit, si une minorité de conducteurs devait choisir la formule Cash for Car, beaucoup opteraient pour une voiture privée d’occasion. Quel serait alors le bénéfice pour la mobilité et l’environnement ? Aucun. Au contraire.

Si on suit votre raisonnement, la seule option gagnante pour l’industrie du leasing, c’est l’allocation de mobilité, pourtant impopulaire ?

Sincèrement ? Oui ! On observe actuellement une tendance vers le leasing pour particuliers, les plans cafétéria… Je n’attends aucun changement. Et s’il devait s’en produire un malgré tout, ce serait dans l’autre sens : une croissance du secteur du leasing.

Pourtant, le gouvernement veut offrir un montant net supérieur aux travailleurs en adaptant la formule de calcul de l’ATN sur l’allocation de mobilité…

Le monde politique ne m’inspire déjà plus une grande confiance, mais si le Conseil d’Etat laisse passer ça, je ne comprendrais pas. Une telle réglementation violerait le principe d’égalité. Les salariés privilégiant la voiture de société devraient payer plus d’ATN que ceux qui optent pour l’allocation de mobilité. Mais même comme ça, je ne crois pas aux scénarios catastrophe. Nous l’avons vu en Grande-Bretagne où ils ont également instauré une sorte de Cash for Car. Le secteur du leasing ne s’est jamais aussi bien porté qu’à cette époque.

Et c’est normal. Nous ne nous contentons pas de proposer du leasing de voitures. Nous proposons un concept d’externalisation complet. Nous couvrons les risques, assurons un service et déchargeons les entreprises pour qu’elles puissent se concentrer sur leur cœur de business. Si les gens choisissent eux-mêmes leur voiture avec l’argent du Cash for Car, vous perdez tout contrôle sur votre mobilité d’entreprise, tant en matière de type de véhicules qu’en matière d’assurances.

Et à propos du dossier relatif à la déductibilité des voitures de société et plus spécifiquement des véhicules hybrides plug-in… ?

Là, on nous a tenus en haleine avec des propositions initiales qui auraient été néfastes pour le ‘verdissement’ de la flotte. Je suis toutefois content de voir que le problème de la déductibilité fiscale est enfin clair pour les cinq années à venir. Enfin un pas dans la bonne direction. Nous avons également revu la première proposition concernant les hybrides rechargeables en adaptant le coefficient de 1 à 0,6 kWh par 100 kg. C’est raisonnable et viable. Les bons hybrides sont récompensés et les moins bons passent à la trappe. Aux constructeurs maintenant de réagir.

Mais ma critique fondamentale reste la même : il s’agit purement de taxes indépendantes des objectifs en matière de mobilité et d’écologie. Je pense que c’est le moment idéal pour le monde politique de collaborer avec les fédérations professionnelles pour définir ensemble ce plan et cette mobilité pour 10 à 15 ans. Et ça, ce n’est pas encore fait.

Trouvez-vous logique que le gouvernement ait voulu faire quelque chose à propos des hybrides plug-in ? Les gros modèles ne sont-ils pas davantage choisis pour leurs avantages fiscaux que pour leur caractère écologique ?

Je comprends la logique, mais dans les premières propositions, on voulait pénaliser fiscalement quasi tous les hybrides plug-in… et là, je ne comprends de nouveau plus rien. Aujourd’hui, le cadre est clair et il appartient à chacun de nous de faire des choix sincères. Si nous optons pour une voiture ‘verte’, nous devons le faire pour des raisons écologiques et non pour des motifs fiscaux. C’est comme ça que ça doit marcher.

Vous disiez que vous espériez une collaboration avec le gouvernement. Mais Renta, Febiac et Traxio ont quand même assez de contacts avec les cabinets ministériels. Ne vous écoutent-ils pas ?

J’ai surtout l’impression qu’on fait semblant de nous écouter et qu’on finit par faire le contraire. C’est très frustrant. Les fédérations ont pourtant un agenda clair. Nous avons développé un trajet à long terme où, avec le gouvernement, nous initions un mouvement social lié à la façon dont nous voyons l’avenir. Une meilleure mobilité en fait partie. Mon message fondamental est le suivant : il faut garantir une sécurité juridique. A l’heure de composer leur parc automobile, les entreprises comme les conducteurs veulent faire des choix écologiques.

D’un point de vue budgétaire, le gouvernement n’est-il pas en train de se tirer une balle dans le pied en créant autant d’incertitude ?

Bien sûr que oui. Souvenez-vous de l’adaptation de l’ATN sous le gouvernement Di Rupo. On a assisté alors à une chute brutale de 50.000 immatriculations par an. Rien qu’en termes de TVA perdue sur un investissement moyen de 20.000 euros, l’Etat a perdu 250 millions d’euros en revenus. Mais on ne verra jamais un politicien lever la main et crier : « C’était moi ! »

Comment voyez-vous les ambitions politiques visant une électrification massive du parc automobile sur un terme relativement court ? Ces dernières semaines, on a entendu quelques déclarations fortes à ce sujet.

Sur ce point, je rejoins la position de Carlos Tavares de PSA, qui dit : « Comment le gouvernement justifie-t-il son droit de se mêler d’une discussion technique ? » Je suis partisan d’une conduite électrique dans un biotope bien précis. Et oui, il y a de la place pour une mobilité électrique à l’avenir, mais aussi pour l’essence, les technologies hybrides et le diesel. Il s’agit d’une évolution et l’on oublie trop souvent que les moteurs à essence et diesel évoluent aussi de leur côté. Un gouvernement ne peut se ranger derrière une technologie dont il ne connaît pas encore toutes les conséquences. Les diesels modernes consomment et émettent tellement peu… Le problème ne réside donc pas dans la nouvelle génération de véhicules mais dans l’héritage du passé. On en revient à l’histoire du système Cash for Car, lequel incitera les gens à revenir aux voitures d’occasion plus polluantes. Bref, le gouvernement actuel ne m’inspire pas beaucoup de positif.

Ce gouvernement fédéral tente pourtant de donner plus d’air à l’économie, notamment en réduisant l’impôt des sociétés. C’est dans ce cadre élargi que nous devons voir les mesures relatives à la voiture de société…

Certes… et avec l’augmentation du pouvoir d’achat, c’est un noble combat. Mais j’ai le sentiment que la voiture de société et la mobilité sont utilisées comme monnaie d’échange pour les dossiers plus importants aux yeux du gouvernement, comme l’impôt sur les sociétés. Entre-temps, on joue avec la durabilité et la mobilité. Nous nous retrouvons tous dans les embouteillages et malgré cela, on approuve un projet de loi que n’apporte aucune solution à long terme. On sent déjà maintenant que la vraie mobilité est reportée à la prochaine législature.

Vous avez des contacts journaliers avec les clients. Quels signaux vous envoient-ils ?

Le signal d’une très grande incertitude. Ils veulent savoir ce qui les attend. Et le gouvernement ne leur apporte aucune réponse. Je perçois aussi très peu d’intérêt pour l’allocation de mobilité. Les gens n’aspirent pas à l’instauration du système Cash for Car. Les grosses sociétés ont déjà leur propre politique en matière de mobilité, nettement plus large que ce qui se trouve actuellement sur la table. Tout comme nous, ils sont profondément déçus par le monde politique.

Imaginons que vous soyez le premier ministre et que vous puissiez définir une politique en matière de voiture de société et de mobilité. Quelle serait-elle ?

J’établirais un agenda à plus long terme : 2020, 2025 et 2030. Car la priorité dans cette matière, c’est la vision à long terme. Cet agenda inclurait des normes en matière de mobilité et d’émissions. A partir de là, il appartient au secteur tout entier de collaborer pour réaliser cette vision. L’avantage, c’est qu’il y a moyen de mettre les conducteurs, les responsables de flotte, les sociétés de leasing, les concessionnaires et le monde politique sur une même ligne. Vous pouvez aussi y associer une vision en matière de transports publics, pour autant qu’ils ressemblent encore à ceux d’aujourd’hui.

Il s’agit là d’une vision rectiligne. Mais est-elle réalisable dans la structure très régionalisée de l’Etat, avec la fragmentation des compétences telles que nous la connaissons ?

Vous touchez là un point sensible. Le nombre de cabinets qui se mêlent actuellement du système Cash for Car est ridicule. C’est pourquoi je plaide pour une approche centrale forte du gouvernement fédéral.

Vous venez d’évoquer les conducteurs. Ils ne participent pas encore au débat, alors qu’ils sont les premiers concernés. Qu’en pensez-vous ?

Je le regrette profondément. Ce n’est pas par plaisir qu’ils subissent les embouteillages. Ils veulent des vraies solutions de mobilité, plutôt que des indemnités de mobilité qui ne serviront à rien. Et ils connaissent la même insécurité juridique que leurs employeurs. A titre d’exemple : comment choisir aujourd’hui une voiture de société si vous ne savez pas combien représentera l’ATN demain ?

La voiture de société n’a pas bonne presse de nos jours et suscite aussi pas mal de jalousie de la part de ceux qui n’y ont pas droit. Pensez-vous que les politiques se laissent influencer par cela ?

Absolument. Mais on pourrait quand même s’attendre à ce que quelqu’un qui a des ambitions de chef d’Etat ait le courage de dépasser cela. Si vous faites de la politique, vous devez viser un objectif social supérieur et non privilégier votre propre carrière politique. Cela vaut aussi pour un chef d’entreprise. Si tout ce qui compte pour vous, c’est votre carrière, alors passez votre chemin.

Dans les communications, on nous balance aussi plein de chiffres, souvent sans fondements. Cela vous frustre également ?

C’est un peu ‘Trumpien’. Il y aura toujours des alternative facts et des gens qui se plairont à les interpréter volontairement de travers pour appuyer leur théorie. Je déplore ce manque d’honnêteté intellectuelle. C’est pourquoi nous avons tenté via Renta et en collaboration avec le Brussels Studies Institute, puis via une autre étude publiée lors du dernier événement Renta, d’objectiver ces chiffres. Les statistiques sur lesquelles nous nous basons sont celles de la TMC, de Febiac et de l’Institut National des Statistiques. Ce sont les seuls chiffres corrects, et tous les autres, c’est du grand n’importe quoi. Pour moi en tout cas.

La voiture de société coûte-t-elle de l’argent à l’Etat ou pas ?

Non, pour la bonne et simple raison qu’elle stimule la croissance économique. Point final. Mais tout ce qui se passe actuellement va coûter très cher au gouvernement. S’il ne fait pas attention, il se passera exactement ce qui s’est passé en 2012. A l’époque, on voulait aussi augmenter les recettes via l’ATN. Et c’est tout le contraire qui s’est produit. Le gouvernement oublie parfois qu’en matière de mobilité élargie, nous ne sommes pas le problème, mais une partie de la solution.

L’activité principale des sociétés de leasing reste la voiture, mais nous offrons de plus en plus de services en faveur de la mobilité (‘mobility as a service’). Qui a lancé le leasing de vélos sur le marché ? Nous ! Et ce n’est là qu’un exemple des services que nous offrons pour améliorer la mobilité. Une offre qui s’élargit de jour en jour. Les transports publics aussi auront un rôle à jouer. Mais je reste convaincu que dans leur forme actuelle, ils ne sont ni suffisamment fiables, ni assez flexibles. Sans parler des coûts structurels exorbitants. A mon avis, les vrais transports publics de demain seront le self driving, la mobilité électrique et la voiture partagée. C’est comme ça que je vois les choses.

La voiture partagée et le covoiturage ont-ils une chance de devenir un modèle pour les entreprises ? Et les sociétés de leasing auront-elles un rôle à jouer ?

Bien sûr. Un peu partout, vous voyez des laboratoires pilotes, même s’ils sont souvent déficitaires. Mais il arrivera un moment où la ‘mobilité en tant que service’ deviendra la norme. Et c’est là que nous, en tant que société de leasing, pourrons faire valoir notre savoir-faire et notre expérience dans la prestation de services pour revendiquer notre rôle. Une fiscalité simplifiée pourrait aussi aider, mais là, nous revenons à la case départ, avec l’obligation de remettre notre sort entre les mains de ces politiques dont je me méfie tellement (il rit).

#Fleet Management #Mobility

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