Propulsions alternatives : « Nous sommes pris de vitesse par la Chine ! »

Le monde des flottes automobiles est à un moment charnière. Les véhicules diesel sont tombés en disgrâce, mais choisir des alternatives n’est pas une mince affaire – notamment en raison de la saga WLTP. Moteurs essence, véhicules hybrides ou voitures électriques rechargeables, voire hydrogène ? Nous avons réuni deux professeurs, experts dans ce domaine : Mark Pecqueur et Joeri Van Mierlo. Ont-ils les réponses ? Pour lire le dossier complet concocté avec la connivence des deux professeurs, rendez-vous dans la prochaine édition du magazine FLEET, à paraître fin septembre.

Mark Pecqueur est professeur en technologie automobile à la Haute-École Thomas More. Cet homme a un avis tranché. L’une de ses citations favorites : « There is no energy problem: use as much energy as you want and enjoy life. »

Joeri Van Mierlo est professeur à la VUB. Depuis des années, il est l’expert incontesté en matière de véhicules hybrides et électriques. Il y a dix ans, il était aussi à l’origine de MOBI, un groupe de recherche interdisciplinaire sur les propulsions alternatives, qui compte depuis 100 chercheurs.

Les diesels modernes sont bons, mais…

Le premier sujet que nous abordons avec les experts, c’est celui du diesel.

Depuis le Dieselgate, le moteur diesel est diabolisé, tant par les politiciens que par l’opinion publique. Les chiffres de vente sont à la baisse, mais le diesel a-t-il encore un avenir ? Voici la réponse de nos experts.

« Les résultats des derniers modèles diesel, conformes aux normes Euro 6d Temp, sont très bons. Même meilleurs que pour l’essence à de nombreux niveaux », avance Mark Pecqueur. « D’autre part, l’ensemble des techniques de post-traitement rendent les moteurs diesel modernes relativement chers. Il convient donc de se demander dans quelle mesure ça vaut encore la peine de continuer à développer cette technologie, alors qu’il existe des alternatives. »

Le fond du problème, d’après Pecqueur, est que le gouvernement doit implémenter une bonne politique de répression autour des moteurs diesel. Il cite l’exemple des moteurs Euro 6 où toutes les formes de post-traitement (filtre à particules, AdBlue) sont supprimées et les vannes EGR sont fermées. « La puissance du diesel augmente de manière spectaculaire, mais les émissions sont affolantes et personne ne remarque rien au contrôle technique », dit Mark Pecqueur.

Mark Pecqueur

« Le problème était déjà perceptible dès le début des années 2000. Le cycle NEDC, c’est quand même franchement risible. Tout le monde, les politiciens en tête, savait que ces chiffres ne tenaient pas la route. Mais, sous la pression du lobby automobile, rien n’a jamais été fait. La volonté d’agir n’existe toujours pas. Les USA, eux, mènent une vraie politique répressive : ils interceptent des voitures dans le trafic et les contrôlent sur place. Car une personne de la chaîne – le conducteur, le garagiste ou le constructeur – doit être tenu responsable si une voiture ne répond pas aux normes. Dans ce scénario, les constructeurs et les politiciens sont les premiers à ne pas avoir la conscience tranquille. C’est facile de crier au scandale lorsqu’éclate le Dieselgate, mais le lobby automobile a fait son beurre pendant de nombreuses années. Et ce n’est possible que si les politiciens le permettent », affirme Pecqueur.

Que faire à présent ? Faut-il poursuivre l’évincement des diesel du parc automobile ?

Joeri Van Mierlo : « Tout dépend de la perspective : à court ou à long terme. On constate de grandes ambitions au niveau international pour lutter contre le réchauffement climatique. On veut réduire les émissions de CO2 de 80 à 95% d’ici 2050 et on n’y arrivera pas avec des voitures essence ou diesel. Donc à long terme, on devra de toute façon se passer du diesel. Certes, 2050 semble encore loin, mais en réalité, si l’on veut atteindre ces objectifs, il faut arrêter dès 2035 la vente de véhicules à émissions polluantes. Sans oublier que les voitures équipées de moteurs à combustion ne disparaîtront pas du paysage du jour au lendemain. Les véhicules diesel qui ont dix ans ou plus ne sont pas une exception. »

Si on veut réduire les émissions de CO2 de 80 à 95% d’ici 2050 on devra de toute façon se passer du diesel.

Chine : l’autre stratégie…

Ces dernières années, les constructeurs automobiles ont déclaré – presque comme un réflexe automatique – que les normes d’émissions sans cesse plus strictes étaient hors d’atteinte. Mais au final, ils y parviennent tout de même à chaque fois. Qu’est-ce que ça cache ?

Joeri Van Mierlo : « C’est un lobby puissant et les intérêts économiques sont énormes. Ils veulent vendre et amortir leur technologie existante aussi longtemps que possible. Mais ils devraient se demander si c’est vraiment le bon réflexe, car entre-temps, la Chine prend une énorme avance en matière de véhicules électriques… »

« La Chine a l’argent, la technologie, les connaissances, les usines et les matières premières pour construire des véhicules électriques », confirme Pecqueur à son collègue. « Je pense que les marques européennes ont déjà un gros retard actuellement, mais ne voient pas encore l’urgence. »

« Et au fond, c’est très bizarre », reprend Van Mierlo. « On peut parfaitement constater à quel point le marché des véhicules électriques a prospéré là-bas ces dernières années. La Chine est déjà le plus gros marché au monde. Les constructeurs européens se reposent sur leurs lauriers, mais ils sous-estiment la suprématie que les Chinois sont en train de se construire. Et là, il y a un gros risque. »

Mark Pecqueur : « Ils gèrent la chaîne des matières premières et, apparemment, Elon Musk est le seul qui réalise l’importance de cet aspect. Il a donc essayé d’acheter une mine, mais sans succès. Il est alors allé négocier avec les Chinois et va finalement implanter une méga-usine de batteries en Chine. C’est la seule manière d’accéder à ces matériaux rares. »

Pour les Chinois, l’Europe occidentale est un catalogue. Qu’allons-nous acheter aujourd’hui ?  – Mark Pecqueur

Et pendant ce temps-là, les Chinois continuent aussi d’acheter des technologies européennes. Geely, notamment propriétaire de Volvo, possède désormais presque 10% des parts de Daimler. Leur but est-il de dominer le monde ?

Mark Pecqueur : « Cela me semble évident. Ils ont une stratégie et un budget illimité. Pour les Chinois, l’Europe occidentale est un catalogue. Qu’allons-nous acheter aujourd’hui ? Mais on dirait que ça n’a pas encore frappé les QG des constructeurs allemands. Si on adopte une perspective plus globale à terme, notamment dans le cadre d’une transition vers les véhicules zéro émission, on n’a vraiment pas intérêt à dépendre d’une superpuissance qui a toutes les cartes en main. La bataille n’est pas encore perdue. Ce n’est pas comme si les constructeurs automobiles européens n’avaient aucune technologie. Mais aujourd’hui, il faut les développer via des accords de collaboration intéressants avec les Chinois. Élever des barrières n’a aucun sens, car si nous ne partageons pas la technologie, les Chinois l’achèteront quand même un jour ou l’autre. Et dans ce scénario, toute l’industrie automobile européenne risque de devenir un vassal de la Chine. »

Joeri Van Mierlo : « Rien n’empêche l’industrie européenne de développer elle-même une technologie pouvant concurrencer celle des Chinois. Je pense notamment aux initiatives autour d’un nouveau type de batterie, qui aurait une autre composition chimique que les batteries connues actuellement. Avec moins de matières premières rares, comme le cobalt. »

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