Luca de Meo (Renault) critique sévèrement la réglementation européenne

Les élections approchant, les grands patrons font entendre leur voix. Luca de Meo, le PDG du Groupe Renault, a ainsi récemment publié une lettre ouverte à l’Europe (lire : l’UE), dans laquelle il évoque sans détour les défis auxquels l’industrie automobile européenne est confrontée, dès aujourd’hui et pour le futur.

Le grand patron du Groupe Renault ne mâche pas ses mots. Dans une déclaration de près de 20 pages, il énumère les points critiques, les défis et les scénarios possibles pour l’avenir de l’industrie automobile. Nous vous proposons ci-dessous un condensé de ses propos les plus marquants. Téléchargez ici le document complet.

Le diagnostic

Dans sa lettre, Luca de Meo commence par décrire brièvement le poids économique de l’industrie automobile européenne. Elle emploie 13 millions de personnes en Europe, soit 7 % des employés et 8 % des ouvriers du continent. L’industrie représente 8 % du PNB européen et exporte plus qu’elle n’importe, générant un excédent commercial de 102 milliards d’euros entre l’Europe et le reste du monde. Ceci équivaut à peu près au déficit commercial de la France en 2023 (105 milliards d’euros). L’industrie innove et investit massivement. Le budget « recherche et développement » s’élève ainsi à 59 milliards d’euros (soit 17 % des dépenses totales de R&D, secteur public inclus, et 26 % des dépenses de R&D du secteur industriel au complet). Ces investissements représentent un tiers de l’ensemble des investissements réalisés sur le continent. Sans l’industrie automobile, l’Europe serait distancée dans la course à l’innovation et, selon les chiffres avancés par Luca de Meo, le pourcentage du produit intérieur brut consacré à la R&D tomberait au-dessous de 2 %. L’écart avec les États-Unis (3,4 % en 2021) deviendrait dès lors abyssal.

L’industrie automobile emploie 13 millions de personnes en Europe, soit 7 % des employés et 8 % des ouvriers actifs sur tout le continent.

Luca de Meo: “Au quotidien, l’automobile affiche sa prédominance sur tous les autres modes de transport (80% des passagers et des marchandises transportés par kilomètre). Une tendance stable jusqu’en 2040 d’après les études. Et elle constitue une source de revenus très importante pour les États : 392 milliards d’euros (plus de 20% des recettes fiscales de l’Union européenne). Mais les symptômes d’un affaiblissement, qui deviendra préoccupant si on ne fait rien pour l’enrayer, se multiplient.

Le centre de gravité du marché automobile mondial s’est déplacé vers l’Asie

Sous le terme « affaiblissement », Luca de Meo fait clairement référence au changement qui s’opère actuellement.

“En premier lieu, le centre de gravité du marché automobile mondial s’est déplacé vers l’Asie. 51,6 % des voitures neuves destinées aux particuliers sont vendues dans cette partie du monde. C’est deux fois plus qu’en Amérique du Nord et du Sud réunies (23,7 %) et qu’en Europe (19,5 %). Les modèles électrifiés (voitures électriques et hybrides rechargeables) arrivent en tête avec 14 % des ventes mondiales. Sur le segment des véhicules purement électriques, la Chine effectue une percée rapide. Confortée par son énorme marché intérieur (8,5 millions de voitures électriques vendues en 2023, selon l’association chinoise des voitures particulières, soit 60% des ventes mondiales totales), elle a déjà pris une part de marché proche de 4% en Europe en 2022. En 2023, environ 35 % des voitures électriques exportées dans le monde étaient chinoises. Conséquence logique: les importations européennes en provenance de Chine ont été multipliées par 5 depuis 2017. Il en résulte une augmentation brutale du déficit commercial entre l’Europe et la Chine : entre 2020 et 2022, il a doublé pour atteindre près de 400 milliards d’euros ! Les marques qui ont le plus exporté au premier semestre 2023 sont MG et BYD. S’y ajoute Tesla, qui expédie des Model Y fabriqués dans son usine de Shanghai vers l’Europe. “

En 2023, environ 35 % des voitures électriques exportées dans le monde étaient chinoises. Conséquence logique: les importations européennes en provenance de Chine ont été multipliées par 5 depuis 2017.

Un déséquilibre concurrentiel

Luca de Meo dénonce également l’approche de l’Union européenne qui, selon lui, donne la priorité à la réglementation, ce qui conduit l’industrie automobile européenne à s’exclure elle-même du marché. Dans une économie ouverte, la compétitivité se mesure aux avantages comparés des différents acteurs. Selon Luca de Meo, un constat s’impose : produire en Europe coûte plus cher. Une voiture du segment C « made in China » bénéficie d’un avantage coût de 6.000 à 7.000 euros (environ 25 % du prix total) par rapport à un modèle européen équivalent.

Côté financement, la Chine accorderait plus et plus rapidement des subventions à ses industriels (selon un rapport de Polytechnique, il s’agirait de 110 à 160 milliards d’euros jusqu’en 2022). Grâce au programme IRA (Inflation Reduction Act) promulgué en août 2022, les Etats-Unis ont injecté 387 milliards d’euros dans leur économie, principalement sous forme de crédits d’impôts. Dans ce cadre, des crédits d’impôt de 40 milliards de dollars ont été accordés pour développer des technologies manufacturières vertes.

Une voiture chinoise du segment C bénéficie d’un avantage de coût de 6 000 à 7 000 euros (environ 25 % du prix total) par rapport à un modèle européen comparable.

Luca de Meo: Un dispositif comme celui-là n’existe pas en Europe. Ajoutez à cela les frais d’exploitation, avec des coûts de l’énergie qui sont deux fois plus bas en Chine et trois fois plus bas aux États-Unis qu’en Europe. Quant aux coûts salariaux, ils sont 40% plus élevés en Europe qu’en Chine.

Les Américains stimulent, les Chinois planifient, les Européens réglementent

Dans la bataille mondiale de la voiture électrique, trois stratégies radicalement différentes s’affrontent selon de Meo:

1) La Chine a misé sur une stratégie industrielle ambitieuse et volontariste

  • Dès 2012, le gouvernement de Pékin a décidé́ de mettre l’accent sur la voiture électrique. Son objectif affiché étant que son industrie automobile devienne dominante sur le plan mondial.
  • Pour y parvenir, la Chine aurait mis en place une succession de règlementations incitant les constructeurs à améliorer les performances de leurs modèles et à stimuler leurs ventes. Laissant entrer sur ce marché toutes les entreprises qui le souhaitent, elle entretient aussi une concurrence darwinienne entre elles. Celles qui survivront seront forcément très puissantes.
  • La Chine aurait également investi massivement dans tous les secteurs impliqués dans le cycle de vie de la voiture électrique, de l’extraction des métaux rares au recyclage des batteries.
  • Elle aurait favorisé la définition de standards communs, permettant à la fois de garantir la souveraineté́ (incitation à mettre à niveau des acteurs locaux pour des achats) et la compétitivité́ (ticket d’entrée inferieur car les constructeurs utilisent des ressources et des technologies déjà̀ développées).
  • Elle aurait déployé́ tout un arsenal d’arguments pour inciter les constructeurs étrangers à passer des accords de partenariats (joint-ventures, transferts de technologie par exemple) avec leurs homologues locaux.
  • Enfin le gouvernement, les banques et les institutions financières, endosseraient généreusement le risque des start-ups (93% perdent de l’argent).

Luca de Meo: “Cette stratégie porte ses fruits: la Chine dispose aujourd’hui d’un avantage concurrentiel majeur sur toute le chaîne de valeur du véhicule électrique. Elle contrôle 75% de la capacité mondiale de production des batteries, 80 à 90% du raffinage des matériaux et 50% des mines d’exploitation des métaux rares.

2) Les États-Unis jouent la carte de la stimulation

Le programme IRA (387 milliards d’euros) favorise les investissements. Il a mis l’accent sur la voiture électrique : seuls les modèles assemblés et faisant appel à des contenus locaux aux États-Unis sont éligibles aux subventions à l’achat, ce qui dynamise les ventes.

  • Grâce à l’IRA, l’Amérique muscle son outil industriel: la capacité des gigafactories de batteries qui seront terminées d’ici à 2030 est passée de 700 Gigawatt/heure en juillet 2002 à 1,2 Térawatt/heure en juillet 2023.
  • De plus, ces usines coûtent nettement moins cher.  Avant l’IRA, un Gigawatt/ heure nécessitait un investissement de 90 millions de dollars. Ce chiffre est tombé à 60 millions de dollars . En ligne avec celui de la Chine quand l’Europe reste à un niveau plus élevé́ : 80 millions par Gigawatt/heure

3) L’Europe règlemente massivement

Luca de Meo n’est pas tendre avec la politique appliquée par l’UE : C’est un véritable empilement de normes et de règles qui se prépare sur le Vieux Continent. En moyenne, huit à dix nouvelles règlementations seront mises en place chaque année par les différentes directions de la Commission européenne d’ici 2030 . Et cela, sans qu’aucun organisme ne valide le calendrier de leur publication. Une situation très pénalisante pour les entreprises qui sont souvent prises à la gorge pour s’adapter aux calendriers très serrés d’application de ces nouvelles règles et qui doivent mobiliser de grosses ressources en ingénierie ( jusqu’à 25% d’un département de R&D) pour étudier leur application. Ce fardeau règlementaire vise à faire de l’Europe un champion de la protection de l’environnement avec l’espoir que ce sera un facteur de progrès social pour tous sur la planète. L’ennui c’est que les autres blocs tardent à suivre cette voie. Ce qui, par contrecoup, pénalise la compétitivité́ des entreprises européennes.

Dans ces conditions, l’Europe fait face à une équation compliquée selon de Meo. Elle devrait protéger son marché, mais elle est dépendante de la Chine pour ses approvisionnements en lithium, en nickel ou en cobalt, ou de Taïwan pour ses semiconducteurs.

L’Europe devrait protéger son marché, mais elle est dépendante de la Chine pour ses approvisionnements en lithium, en nickel ou en cobalt, ou de Taïwan pour ses semiconducteurs.

Luca de Meo: “Notre continent devrait aussi apprendre des constructeurs chinois qui ont une génération d’avance sur nous dans le domaine des performances et des coûts de la voiture électrique (autonomie, temps de charge, réseau de recharge…), du software et de la vitesse de développement des nouveaux modèles (1,5 à 2 ans versus 3 à 5 ans). La relation avec la Chine devra être gérée. Leur fermer complètement la porte serait la plus mauvaise des réponses.”

Les solutions
Luca de Meo dresse un tableau relativement sombre, mais il estime aussi qu’il n’est pas trop tard pour redresser la barre. Dans sa lettre ouverte à l’UE, il propose 10 projets concrets pour aider l’industrie automobile européenne à combler son retard.

  • Augmenter la compétitivité de l’Europe dans le domaine des semi-conducteurs
  • Promouvoir des petites voitures européennes « pop » (façon kei cars japonaises)
  • Révolutionner la livraison sur le « dernier kilomètre »
  • Accélérer le renouvellement du parc automobile
  • Développer les infrastructures de recharge électrique et la technologie Vehicles-To-Grid (V2G)
  • Atteindre la souveraineté des approvisionnements en matières premières critiques
  • Standardiser le « Software Defined Vehicle » (SDV)
  • Favoriser l’émergence d’un champion européen du metaverse industriel
  • Unifier le recyclage des batteries
  • Booster le potentiel de l’hydrogène

Lire en détail ce que ces 10 projets impliquent ? Téléchargez ici la lettre ouverte de Luca de Meo !

#Auto

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